> Manifeste du Vide


- Le musée du vide est chargé d’exposer, de produire et de conserver le vide. 
- Il ne peut être ramené à un musée déjà connu. 

- Il a pour vocation de regrouper la totalité des vides expérimentés artistiquement.

- Sa problématique est d’avoir rendu le vide et la virtualité indissociables. 

- Il pose la mémoire électronique comme médium incontournable. 

- Par là-même, le vidisme devient l’aboutissement de l’art du concept. 

- L’artiste sans œuvres se met en position critique par rapport au plein. 

- Le plein de tout ne s’acquitte que de saturer et de désinformer.

- Aucune œuvre relevant du plein n’est exposée car elle s’inscrit dans le passé. 

- L’omnipotence du plein comme langage de la société de consommation devient obsolète. 

- Le plein est un cache-pot pour nos têtes qui ne seront jamais assez vide. 

- Le musée du vide est blanc, ou translucide, ou utopique, c’est selon. 

- Sa mémoire, déjà illimitée, peut être centuplée selon des besoins ultérieurs. 

- Le musée du vide, c’est les locaux moins les murs.
Ses salles résonnent tant qu’une certaine vacuité fait écho. 
- Dans un état d’esprit léger, le visiteur saisit mieux les œuvres immatérielles. 

- Avec un soupçon d’ironie, sa pensée atteint des régions suprasensibles. 

- Une conduite méditative suscite également l’imaginaire.

- Les contributions en œuvres immatérielles sont accueillies sans distinction. 

- Les ajouts littéraires autour du vide sont soumis au comité de lecture.

- Les mécènes sont encouragés à produire du papier monnaie vierge. 

- Leur connivence créera de l’émulation autour du désintéressement en art.

- La collection du musée consiste à préciser l’art du vide :
il faut entendre une pratique n’ayant aucune traduction concrète par le plein. 
- Il s’agit parfois de l’absence d’œuvres. Notamment de lutter contre les pollutions arbitraires. 

- Une œuvre est d’autant plus vidiste qu’elle est impossible à réaliser. 

- Le danger qui menace l’artiste du vide, c’est l’œuvre. 

- Il peut se voir libéré de la nécessité de passer à l’acte.

- Cesse d’être vidiste qui fait une œuvre monnayable, encombrée ou prosaïque.

- S’admet comme vidiste quiconque décide de tout reprendre à zéro.

- Est homologuée par le musée toute œuvre éthérée, même inachevée.

- La ligne de démarcation se situe entre le rien et l’acte. 

- Le summum d’une œuvre vide fait accéder au vertige ironique.

- L’artiste sans œuvre n’en est pas pour autant oisif :
la libération qu’opère le vide se veut au service de l’esprit. 
- Le vidiste se positionne sur la ligne infiniment étroite entre le rien et l’ultra-vide.

- Il se hasarde aux portes de la perception de l’essence du vide.

- L’idéal vidiste est de s’émanciper de l’ego, de devenir anonyme, voire irréel.

- Après s’être affranchi de l’œuvre, le vidiste cherche à se débarrasser de l’artiste en lui-même.

- En faisant le vide, un artiste sans œuvre est par définition heureux.

- Il peut se voir délivré des contraintes de la création. 

- Il s’affranchit de la reconnaissance de ses pairs et soustrait son œuvre à la marchandisation de l’art. 

- Dans le cas contraire, il choisira l’auto exclusion.

- Enfin, le vidiste laisse ses créations librement enrichissables.

- Ce manifeste s’inscrit dans une dynamique de réflexion collective. 

- Il est appelé à évoluer au regard des contributions qu’il pourra susciter.

À tel titre, au lieu-dit : « Quelque-Part », en toute circonstance.

 
Manifeste vidiste

Pourquoi le musée du Vide sur le Net ? Seul, le net, pouvait le faire exister ? La polémique ne cessera de rebondir puisque ce musée n’a pas été fait pour être bâti, mais dégagé des contingences du réel. Notre perception de ce musée n’a pas plus de fondement en état de veille que pendant un rêve déstructuré qui suggérerait des égarements de l’esprit. Il est susceptible de revêtir tous les aspects qu’offre la mémoire virtuelle. Les œuvres sont les symboles d’un grand vide en formation. Que dissimule cet engouement ? Notre curiosité est un peu trop féconde pour se satisfaire de normalités qui ne dérapent pas. Visuelles ou non, nous aimons les œuvres qui restent des pensées et devant lesquelles on n’a plus qu’à écarquiller les idées. L’avènement du plein, c’en est trop ! Ce camouflage définit assez bien la société actuelle. Réfractaires au plein ambiant, nous l’avons dans notre collimateur. Logiquement, expérimenter le vide donne une dimension subversive. Rappelons ce jeu du bouche à oreille où le message une fois contrefait devient incompréhensible. Le trop plein, c’est de l’intox. Peut-on voir l’immensité d’un espace nu sans larguer les amarres de tout notre capharnaüm ! S’il ne fallait sauver qu’un musée, serait-ce celui-là ? L’enjeu est de savoir si l’on se différencie du musée archiplein, formaté cent pour cent culture, fait pour scotcher le regardeur en proie à une manipulation hypnotique. Le sujet est singulièrement piégé : du vide, autant que faire se peut - une aventure à l’écart de tout repère familier. Il faudrait beaucoup trop de mots pour dire que nous tenons avant tout à perdre notre temps. Le musée du Vide a une identité reconnaissable entre toutes parce qu’elle est le résultat d’un parti pris. Nous ne sommes pas des consommateurs de trouées dans l’informel qui recherchons à maximiser leur stock. Le vide, qui constitue notre fil d’Ariane, n’est pas le vide dépressif de psychopathologies qui n’osent plus dire leur nom. Nos têtes ne seront jamais assez vides. Un musée, par ironie, parce que nous ne sommes pas dupes de ces lieux d’autorité. Déjà on s’embarque dans une virée peu banale. De manière symbolique, le vidiste s’attaque aux start-uppers de la Net-économie. Un artiste-sans-œuvre n’attend rien des cotes démentielles qui n’engendrent qu’absurdité. Nous regrettons qu’il n’y ait pas plus d’émulation autour du désintéressement en art. Notre deuxième mot d’ordre : la gratuité. Il est temps de tout désacraliser ! Voilà pourquoi nous ne sommes en rien touchés par la crise économique et morale de l’art. Faire le vide, parce que nous n’avons pas la maturité nécessaire pour gérer un trop plein qui nous donnerait un semblant d’épaisseur. Nous ne pleurons pas sur le fait que la fin de l’art a déjà eu lieu. Il nous est agréable de ne pas céder à l’art qui fait un usage incontinent du plein. Le vide est un art métissé qui fait son miel de tout. Un artiste sans œuvre se trouve être indifférent dans un milieu qu’il paraît vain de transformer. Nous savons d’instinct qu’on ne gomme pas la distance qui sépare l’art de la société. Rassembler les concepts de musée et de vide tenait jusqu’à présent du pari impossible. En cette période au malaise archiviste, où le muséal a des relents de naphtaline, il n’est guère fait de place au vide. Le rapport à l’intériorité s’est dévitalisé. Plutôt que d’affronter les questions apportées par le vide, combien s’en remettent à un prêt-à-penser : le plein, comme à un bruit aliénant. Il nous fallait donc l’absorber. Et l’Aspibruit fut inventé. Nous ne restons plus en situation d’éveil constant quand le vide et son  silence sont, quelque part, préservés. On y perçoit une spiritualité quasi bouddhique qu’il s’agit de restituer aussi justement que possible. Tous les discours sur le rien aboutissent à une impasse. Faire le vide, c’est faire coexister l’esprit de rébellion et le souci de pacification. Notre démarche est aussi explosive qu’une grenade dégoupillée qui ne pète pas - une vision utopique, une attitude critique, un rôle dans l’histoire de l’art. On ne peut plus s’intéresser à un envers replet décidément trop marchand, balisé et définitif. Ce site web est un lieu de résistance, pour l’amour du questionnement, tant que nous serons étreints par un vertige ironique. Nous nous moquons à bon compte des lieux institutionnels qui ne savent occuper le vide. En tout un chacun, un essentiel intérieur apparaît comme une photo trempée dans un révélateur. Le muséal, c’est le bon goût, et notre ironie à son endroit est l’expression du pathétique. Le musée type tente de survivre à tout prix dans un univers consensuel au service de cette mascarade qu’est la transmission du patrimoine. Reste un voyeurisme à tout crin que l’on perturbe en habitant l’espace par le petit trou, du dedans. Si tout produit de l’art, l’absence d’art en revanche a du mal à s’imposer. Faut-il multiplier le plein pour avoir du vide ? Le vide est fondamentalement plus risqué. Autrement dit, nous nous situons en dehors de la norme. Le vide a pour avantage d’empêcher l’artiste de se bluffer. Et le vidiste de remplir sa fonction de contre-pouvoir. C’est dire si le vide est d’une hygiène artistique fondamentale. Si à chaque instant s’inaugure un musée dans le monde, celui du vide, lui, n’existait pas. Une certaine forme d’impuissance culturelle lui laissait la place. Ce concept est d’une si belle simplicité qu’on s’étonnait qu’il n’ait été déjà mis en œuvre. Le musée du Vide sert de réservoir d’idées et de stockage à des œuvres dématérialisées. C’est un lieu où s’incarne une mémoire que le temps ne refuse plus d’effriter. Nous attendions d’un vrai bâtiment qu’il ne contienne aucune œuvre d’art, qu’il soit quelque chose comme une église où l’on ressent l’absence de Dieu : un musée privé d’art, où le terme « art », dans toute sa vanité, serait vide de sens. Autant nous sommes les apôtres du degré zéro de l’art, autant nos signatures sont inventées et interchangeables. Nos portraits : des leurres. Il faut sortir de la glu des des œillères par l’extinction de soi. L’anonymat sert à habiter l’espace virtuel, à desservir le marché, à être en froid avec la culture officielle. La meilleure façon de ne pas se laisser crétinisé, c’est d’avoir la tête ailleurs, en pays d’illusion sur une terre d’expérience. Alors que tout paraît en ruine, le vide, lui, rapproche l’homme de la contemplation. Peu importe que l’on ne sache pas où l’on va, l’essentiel est de ne pas suivre le mouvement. Vous ne trouverez pas l’incontournable du vide devenu marchandise. Curieux de savoir pourquoi le vide habite nos regards excavés, nous n’avons d’autre alternative que le blanc, le transparent, la légèreté, désespérément, à perte de vue. Il n’y a que l’absence de préjugés qui permet d’aimer les œuvres liées au vide, car la modernité c’est la rupture, faire table rase. Il y a des domaines inaccessibles aux sens que seul l’art peut explorer. L’époque n’est pas propice à la vacuité, elle est plutôt faite pour les gloutons, non pour les assoiffés de vacance à n’en plus pouvoir vivre. C’est parce qu’il est regardé que le vide est envahi par la lumière. Il permet d’exhiber une certaine densité et l’on peut croire à ses apparitions. Combien d’entre nous conduisent leur vie selon un haïku ? En Occident, mieux vaut ne pas « avoir ses batteries à plat », ni « brasser du vent », ni « gesticuler dans le vide ». Pour promouvoir un tel musée, il aurait fallu réserver un encart publicitaire vierge dans une revue d’art ; passer une interview silencieuse à la radio ; qu’une télé diffuse un interlude sans image ; ou qu’une entrevue avec un critique d’art devienne un réel moment de réceptivité. « Le vide, c’est, selon Novalis, le chemin qui va vers l’intérieur ». conduit en territoires névrotiques ? Chacun s’est fait son film devant un panoramique de l’Himalaya. Les « Interstices » sonores d’Érik Satie, le « Carré blanc sur fond blanc » de Kasimir Malevitch, les « Intervalles » de Marcel Duchamp, le « Saut dans le vide » d’Yves Klein, et le « Silence » de John Cage, nous ont fortifié le cerveau contre la dépoétisation de la bourgeoisie mercantile. Les frondeurs du vide n’ont rien d’une génération spontanée. Le mouvement a donné naissance à « Aseptic-Zone » où se greffent les sans-papiers, les sans-abris, les sans-emploi dans un espace de non-droit absolu. Les vidistes y dénoncent l’aseptisation comme une névrose toute contemporaine. qui se vide, des volutes d’une fumée. Sa mécanique brasse l’air comme un ventilateur atteint d’une indifférence tropicale. Nous serions désenchantés s’il avait fallu monter des murs avec des blocs de béton et avoir des préoccupations d’entrepreneur. Notre cabane à rêves qu’est le web peut suffire à nous réconcilier sinon avec l’art, du moins avec la vie. « Pas question que grues et bulldozers refaçonnent tout un quartier pour votre utopie » nous dit-on. Prenons Paris : la ville est creusée comme un gruyère : métro, égouts, carrières, cryptes et catacombes, puits, caves, galeries et canaux, abris antiatomiques, nappes phréatiques, fouilles archéologiques, autant de vides qui soutiennent la capitale. Des travaux supplémentaires aurait pu voir s’effondrer tout un arrondissement. Notre intérêt pour le vide ne va pas jusqu’à forer davantage les intestins de la ville. Seule ombre au tableau : la création contemporaine est trop dépendante des médias et de l’argent privé. C’est pourquoi le musée du Vide naquit sur le Net. Il n’y a que la virtualité pour le faire exister. Le musée du Vide, c’est les locaux moins les murs. N’étant pas dans une logique de rentabilité, il est maintenu par un fil invisible à l’écart du monde, avec vue plongeante sur celui-ci. On se rend sur le terrain du vide quand on y a déjà perdu pied. Que l’envie de vide devienne un acte de résistance, de vacuité devenu possible. Ce qui ne peut pas se vendre peut enfin exister en se préservant de toute récupération. Les vides, aussi bien poétique, musical, spirituel et esthétique, ne peuvent être confondus avec le « Rien », anagramme de « Nier ». Le Rien n’explique rien. Les expos peuvent être vécues en prise directe, sans greffe neurochimique, ni avec un casque de visualisation à cristaux liquides : il s’agit moins d’inventer une œuvre que de prendre conscience d’un changement de cap. Le vide apparaît dans votre champ mental : vous vous affranchissez de la pesanteur ou dérivez comme les continents ; votre possibilité d’imaginer le vide suit votre volonté. Visualisez une bulle au fond de l’eau qui enfle, se remplit d’air ; vous bâillez dès que votre attention baisse. Ramenée à la surface, la bulle éclate. Vous êtes sortis des standards. À quand l’impression tactile du vide ? plus rien, le silence. Un ange passe qui blanchit un peu plus, à chaque passage, notre boîte noire. On s’est aussi décidé pour du silence enregistré dans un caisson étanche. Le dernier opus en date, érigé en principe artistique, a été capté en haute montagne. Sont sortis de nouveaux albums avec une sonorité aphone, seul le titre change : « Air de ne pas y toucher ». Le coffret varie : un blanc du plus bel effet. « Sarabande d’omissions assourdies », « Explosion nulle ou très retardée » - « Silence de limace sur double vitrage ». Il importe peu que les maisons de disques trouvent la parade avec un système de verrou anticopie. Grâce au vidisme, ce n’est ni plus ni moins le disque vierge que l’on écoute. La jaquette de chaque album est à télécharger. Nous aimons que le silence qui ne mène nulle part soit minutieusement entretenu. C’est un art du constat froidement objectif, à peu près aussi chaleureux qu’un bloc opératoire. Si le blanc décontamine, une bibliothèque remplie de livres blancs aurait été épuisante à réaliser. Nous nous sommes restreints aux « Livres destinés à demeurer des titres » : « De la mendicité légitime des artistes sans œuvre » - « Pour une société alternative fondée sur la légèreté » - « À l’affût de la sensation non encore éprouvée ». Le poète, avec ses livres blancs, chante les titres a capella. Le vide n’est plus l’apanage des seuls pays désertiques. Au moment où l’art cherche à retrouver son souffle, un art non commercialisable est comme une bouffée d’air dans un paysage asphyxié. L’alternative est d’éviter de radiographier le plein qui nous contraindrait à une chute dans un radicalisme dépourvu d’humour. Pour la légende on dira que le musée du Vide, c’est l’histoire d’excentriques qui, quand ils étaient petits, sont tombés de haut ! De cette expérience, ils savent que seul l’art pourra changer le monde. Certes, une page blanche aurait pu suffire. Un fond d’écran sans surcharge qui ne témoigne de rien comme dépaysement total. Moins c’est plein, mieux c’est. Mais l’artiste rebondit sur l’imaginaire : rien n’est figé sur la pellicule, il n’y a plus de pellicule dans l’appareil photo, l’appareil devient inutile, seule l’émotion compte, un moment superbement perdu. Garder une attitude impeccablement zen en optant pour un site au design épuré, comme pour ne se reconnaître aucun talent, avec l’intention d’en faire le moins possible, comme d’autres font vœu de pauvreté. S’innocenter du trop plein, se blanchir, consiste à ne pas laisser de traces, à s’effacer, d’où nos pseudonymes. Regardons le ciel au-dessus des ruelles vidées à l’heure de la sieste. On ne sait toujours pas si rester en marge, devenir invisible ou prôner le désœuvrement, abrège la vie humaine ou la prolonge. Plus de performance omniprésente ni d’enjeu. Longue vie au génie du lieu ! L’activité essentielle pour les maîtres du thé est invisible. Le rituel témoigne d’une parfaite maîtrise de l’espace. S’asseoir, prendre l’eau avec une louche dans la théière, faire tourner le bol trois fois entre ses mains avant de le vider, et disparaître derrière une porte coulissante.