> Cailloux passés au crible



Je n’aurais jamais su que les cailloux visaient un but vraiment grand si je ne m’étais trouvé intimement en rapport avec eux. Le caillou est arrivé à présent à son achèvement, et l’homme ne peut plus espérer le voir réduit en poudre. Comment se fait-il aujourd’hui qu’il faut plus d’habileté pour tailler un caillou, qu’il n’en fallait autrefois pour en sculpter tout un tas ? La veine du quartz est le génie du caillou. Le langage du caillou fascine en même temps qu’il divertit, de sorte que le temps s’oublie si l’on glousse en le faisant ricocher. Ses pointes opposées font le prestige du caillou. N’en voir qu’une, ce n’est être chanceux qu’à demi. Les non-voyants se trompent dans le tri de leurs cailloux en ne conservant que les plus polis. La trouvaille d’un caillou ne nous fait pas plus le fendre, qu’on n’est porté à concasser un crâne aussi dur que la pierre. Si notre admiration pour un caillou ne fait que s’accroître, évitons de le lancer pour ne pas tenir son esprit en suspens. Le caillou contient en lui un mystère que l’on évitera de préciser en parlant à cœur ouvert, car le silence est son sanctuaire. Sa difformité et sa rareté font réciproquement le beau caillou. Le caillou n’est beau autant qu’il le sait. Sinon, il entrerait dans un monde de ténèbres. Sa beauté est stérile si notre œil ne l’accompagne. Il n’est pas au caillou de se rendre nécessaire, mais de se rendre disponible. Ce n’est pas le lanceur qui fait le caillou, c’est l’adorateur. Celui-là aime mieux trouver un caillou impénétrable qu’un caillou reconnaissant ; il lui est ordinaire de s’oublier. Nous tirons davantage du caillou d’un sentier que du galet d’un fleuve. Dès que le caillou est mouillé, il nous tourne le dos. Dès qu’on le fait ricocher, on le perd. Quand on cesse de l’avoir en main, notre admiration cesse. Quand un caillou nous sent disponible, il se donne dans l’excès de ne plus se taire. Le caillou ne naît pas tout fait, il s’épure. Quelques-uns n’arrivent jamais à ce point : leur manque on ne sait quel éclat. Le caillou se garde bien de surpasser l’adresse de celui qui le lance. Le caillou cache ses avantages bruts, ainsi qu’une femme se déguise sous un habit négligé. Le rocher se veut être le plus éminent des cailloux. Il leur fait se souvenir de la poussière. Ainsi que les météorites qui ne paraissent jamais en sa compagnie. Si l’homme passionné s’emparait de l’esprit du caillou, il s’épargnerait bien des tourments. L’eau se lave des qualités du caillou sur qui elle glisse inlassablement. En y regardant de près, le caillou doit beaucoup à la terre, pour y avoir rencontré son étoile. Il n’y a pas d’imperfection sur un caillou qu’une rivière n’ait effacée. Si le caillou acquiert la renommée d’être unique, le brin d’herbe ne peut y prétendre. En jetant un coup-d’œil sur un caillou, nous trouvons qu’il n’a rien qui nous soit étranger. Il vaut mieux faire des ricochets sur un lac, que de passer une heure avec un caillou sans rien faire. Des cailloux, nous n’aimons pas les définitions qu’on en donne, car ils mettent beaucoup d’eau dans leur poésie. Tel caillou aura autant de délicatesse qu’un autre aura de dureté. Le premier sert à l’homme tandis que le second lui est préjudiciable. Entre l’homme et le caillou la jouissance est réciproque. Le caillou est payé de l’ébahissement que l’homme donne à ce qu’il dit. Le caillou qui écoute, du profit qu’il en reçoit. Sans le ruisseau, le caillou ne fait rien comme il faut, il est grossier dans tout ce qu’il fait. Le caillou procède quelquefois finement, et quelquefois rondement. Chaque caillou est absolument unique. Exactement comme tous les autres. Le caillou nous jette des pensées que le brin d’herbe est loin de soupçonner. Il nous écoute, pour amuser notre attention. Le caillou qui se garde d’être ramassé change de jeu pour changer de ruse. Celui qui a de la pénétration ne se tient plus sur ses gardes, car il déchiffre un filon d’autant plus caché qu’il lui est inexplicable. Un beau caillou supplée à tout. A la rivière, il ôte même les rides. Le caillou a intégré en lui une étoile qui le tire de l’embarras de sa petitesse. Il fait de son serviteur celle que la nature a fait son maître, sans qu’il lui en coûte. Façonné par l’esprit de plusieurs, le caillou passe pour un oracle, attendu que l’étoile lui distille tout en quintessence. En variant de couleurs, le caillou frustre nos certitudes. Il est aisé de lancer le caillou qui vole droit, mais non celui qui n’a pas de vol réglé. Le fin lanceur ne joue pas l’intention du caillou, encore moins la sienne. Un vulgaire caillou qui s’applique à ricocher va plus loin qu’une pierre sublime qui s’applique à se rendre lourde. Les cailloux sont dignes d’un temps meilleur. Ils ont toujours la consolation d’être éternels. Si la terre leur fut ingrate, le déluge leur fera justice. Les cailloux ont l’avantage d’être durables et de pouvoir attendre le moment où il leur sera donné d’agir sur le monde, s’il y survient quelque rupture. Il n’est guère possible de se figurer qu’un jour tous les cailloux puissent se précipiter dans un abîme qu’ils auraient creusé eux-mêmes. Une rivière a le grand mérite auprès des cailloux de remplacer le sculpteur lorsqu’il s’absente. Aucun caillou ne s’imagine avoir été attendu. Pourtant il se demande s’il n’est pas l’instrument révolutionnaire par lequel l’homme agira sur son siècle. Peu de gens reconnaissent au caillou une utilité. Sinon pour casser une vitre. D’autres ne savent pas comment s’en servir. Sa tendance à l’idéal n’est pas forcément suspecte quand un caillou bien aiguisé se fait pierre philosophale. Le langage de la caillasse, autant que celui du parpaing, ont quelque chose de pathétique. S’il se fie aux rivières qui le perfectionnent, le caillou est suffisamment pourvu de moyens pour satisfaire les besoins de sa condition terrestre. Une banque remplie de cailloux deviendrait un bel exemple de conciliation entre les hommes en remplaçant nos pièces trébuchantes. Rien ne peut être estimé plus haut que le caillou du jour, ramassé au hasard du chemin. Difficile de trouver l’égal du caillou dont l’errance a mis au plus haut point son caractère à l’épreuve. Le caillou se tient à nos pieds où il attend qu’ils le fassent rouler. Plus on l’ignore, plus le caillou fera son possible pour paraître quelque chose à nos yeux. Quand on voit le défaut d’un caillou, c’est qu’un nuage éclipse le soleil. Il est rare pour l’homme qu’un caillou se plaise à le divertir en songe. Quelle adresse faut-il pour entrer dans l’esprit du marbre, comme pour lui tâter le pouls. Nous trouvons peu de beaux cailloux si nous dédaignons tout ce dont il y a beaucoup. Pourquoi estimons-nous les cailloux par leur grosseur ? Sont-ils faits pour charger nos bras ? Le plus commun des cailloux prend plus de plaisir à se faire écraser qu’à sentir le roulis des eaux. Nous nous regardons en chiens de faïence quand les cailloux tâchent d’accorder leur somnolence avec notre inconscience. Sait-on que le caillou choisirait plutôt l’oisiveté que de s’occuper à blesser nos orteils ? En dépassant la bonhomie ramassée du caillou, pour en saisir le secret, on débouche sur l’idée que lui et nous sommes interdépendants. La plupart des cailloux, dont le feu est éteint, ne font pas violence à leur léthargie, d’où il arrive qu’ils n’excellent en rien. En se pesant, selon sa juste valeur, le caillou ne périt pas en ne pensant à rien. Il n’en voit ni le dommage, ni le profit ; et, par conséquent, il ne s’en chagrine pas. Les vieilles roches font grand cas de ce qui importe peu, et n’en font guère de ce qui importe beaucoup, parce qu’elles prennent tout à rebours. Le caillou creuse où il y a du fond, et quelquefois où il y a plus de fond qu’il ne pense : si bien que sa méditation va jusqu’où est allée son appréhension. Si d’un torrent ou d’un sentier, le caillou se retire, ce n’est pas qu’il y était maltraité. Quand des cailloux nous sont lancés avec brutalité, on s’en protège ; ainsi, le coup prévu est toujours paré. Avant qu’on leur donne un numéro matricule, collectionner les pierres précieuses suffisait à gagner leur affection. On ne peut étiqueter un caillou par les choses qu’il laisse entendre. Imaginez tous les cailloux qui peuvent être déterrés derrière un seul ! Les cailloux que nous ramassons ne peuvent être conservés plus d’une nuit. Le lendemain, ils reviennent d’eux-mêmes à leur place sur le chemin. Le caillou se retire dans le sanctuaire de son silence. Ce n’est qu’à peu d’entre nous et jamais aux plus fous qu’il se donne. Qui frotte des cailloux a des étincelles plein les yeux. Nous avons une parenté de cœur avec le caillou, qu’on attribue à un enchantement. Sans cette inclination, l’utilisation qu’en en fait ne sert à rien. La densité du caillou vaut toujours plus que sa surface. Celui qui n’est que façade se métamorphose dans la grisaille. Il lui est facile d’abuser l’homme qui ne tarde guère à découvrir qu’il est vide au-dedans. La sonde d’un caillou va jusqu’au fond de la plus haute profondeur et y découvre tout et comprend tout. L’esprit du caillou ordonne ses faces en un faisceau dont il demeure le point focal. Le caillou est tel qu’il n’a pas de quoi rougir. Il craint trop de blesser sa propre réserve. L’homme flotte pour ne pas couler, il n’en finit pas de se mouvoir pour ne pas sombrer comme un caillou dans les grands fonds. Il est très difficile d’ébranler un caillou tant il se hâte lentement. J’ai longtemps cru qu’il y avait quelque part une usine secrète où l’on fabriquait les cailloux. Malheur au caillou qui, faute d’être dense, passe pour mort, et vit enseveli dans l’obscurité de son abandon. Ne pas se passionner, c’est la marque du caillou qui reste au large. Il traverse la vaste carrière du temps. Cette béquille lui fait faire plus de besogne qu’une massue de fer. D’un entendement profond, le caillou demeurera à perpétuité, et le plus précieux sera le plus tardif et le moins lourd. Les cailloux affectent de prendre un nouveau chemin pour arriver à l’éminence d’une forme, de telle sorte que la prudence leur sert toujours de guide. Le granit ne sait pas vivre un seul jour sans quelque métaphysique ennui. Quand les cailloux ne dépendent plus de nos pas, il suffit au premier d’entre eux de frayer le chemin au second, et ainsi de suite. Les cailloux mettent à profit la relative tranquillité du ruisseau pour fausser compagnie aux nuages qui s’y reflètent et pour filer au gré de l’eau en les attendant plus loin, un peu en avance dans l’aventure. Si les cailloux démentent l’opinion qu’on a d’eux, c’est qu’ils sont changeants et jamais eux-mêmes. Notre passé est semblable à la poussière, notre présent au caillou, et notre futur au vase sur le tour du potier. Le caillou est plein de bosses et de creux, il est rude et tourmenté. Le plus irrésolu ne fait jamais rien sans y être poussé. Qu’il est drôle de voir un de ces cailloux intraitables prendre son air impertinent de fierté ! L’emploi des cailloux demanderait qu’ils fussent à tout le monde ; mais leur superbe fait qu’ils ne sont à personne. Il est dommage que ce que voit le caillou en son for intérieur est pour nous le moins essentiel. Faites donc la critique de l’Himalaya, caillou après caillou ! À voir les cailloux comme des choses neutres, froides, désincarnées, on renonce d’emblée à entendre la part de souffrance qu’ils charrient secrètement. C’est parce que le caillou est trop piétiné qu’il ne donne plus de son jus, fût-il amer. Il est ridicule d’accuser le caillou d’être fait du défaut d’être sans défaut. Il y a plus de cailloux dans toutes les galaxies que toute autre chose. Plus d’une fois, j’ai songé à dynamiter la planète jusqu’au moindre caillou qui n’aurait pas été réduit en poudre. Un caillou doit être pris, non par le tranchant, mais par le plat, qui est le moyen de s’en défendre. Nous croyons trop facilement que le malheur du caillou est de n’être bon à rien. Perdrait-il toujours d’avoir été sur terre le premier ? Le caillou ne passe pas pour ce qu’il est, mais pour ce dont il a l’apparence. Il n’y a guère d’œil qui voit en-dedans. Chaque caillou a sa facture ; il faut être un forçat pour voir les différences. Mais c’est une occupation bien pénible d’avoir à casser des cailloux. Combien d’hommes se lancent des pierres en se crevant les yeux jusqu’à défigurer le monde en un tas de ruines. Plaire aux cailloux, ce n’est pas en ramasser à la pelle, mais d’en prélever un, chaque jour. En faisant d’un caillou son confident, et à force de caresses, nous le rendons bien affectueux. En été, on a le temps de faire sa provision de cailloux, plus commodément et à bon marché. Qui s’accoutume mal à marcher sur des cailloux, s’y fait peu à peu, malgré leur rudesse. Si on efface les taches d’un caillou, c’est pour se consoler des défauts que le caillou a aussi. Plus on creuse sur ce chemin et plus on s’embourbe. Partout où le caillou se trouve, il se fait un passage et lorsque le sort s’opiniâtre contre lui, il tente tout pour en sortir. Moins il est resserré dans les bornes d’un chemin, et plus il se met au large. Il y a une chose que je ne ferai jamais, c’est shooter dans un caillou. Il ne faut pas se restreindre d’avoir en poche un seul caillou. Mais de tenir pour règle d’en avoir deux. Comme la nature nous a donné le double des membres et toutes sortes de choses. Le caillou sort de tout avec avantage, fût-ce au milieu des étoiles. Soyons attentif au caillou qui, une fois lancé, fait plus attention à ne pas manquer un seul coup, qu’à en tirer une bonne centaine. Quand le caillou luit, personne ne le regarde ; mais lorsqu’il s’assombrit, chacun le considère. Les cailloux, faciles à fendre, se découvrent de peu de consistance. Et s’ils se montrent plus tendres que nos yeux, on ne saurait les toucher. Bien que le minéral a de beaux jours devant lui, il en perd parfois le plaisir. Il aimerait retourner à l’origine de la pierre dont les cailloux sont les postillons. Certains qui paraissent être des cailloux ne le sont pas. Il y en a d’artificiels et il est de nécessité qu’ils ne tombent par terre. Bien que les cailloux ne soient pas si rares, entre eux ils s’ennuient, attendu qu’aucun ne consulte l’autre. A la campagne, un simple caillou occupe agréablement notre temps, il devient un divertissement qui est loin de nous nuire. Se familiariser avec un mégalithe, fait perdre aussitôt la supériorité que nous donnerait un air sérieux. En songeant à l’étoile, le caillou se croit davantage qu’il n’est. En s’identifiant au rocher, il s’estime moins qu’il ne vaut. Les astres se conservent dans leur splendeur parce qu’ils ne se commettent pas avec nous. Le caillou est un cœur aux mille secrets. Où en lui, il y a du fonds, ses secrets sont enfouis. Il lui faut quantité de creux pour faire tenir à l’aise tout ce qu’on y projette. Le caillou passe pour une fausse monnaie ; et le chercheur de fossiles pour un faussaire. Dès qu’un caillou nous semble singulier, on le ramasse, mais on se leurre bientôt en communiquant avec lui, s’il sort des bornes étroites de notre imagination. Le caillou vise plus haut pour mieux adresser son coup ; mais pas assez haut pour que la cible vienne à tomber d’un coup. Un caillou serait misérable s’il manquait la route que lui trace son étoile. De tout temps les cailloux ont collaboré aux progrès de l’architecture. Le caillou est un volcan sans éruptions. L’homme ne révèle mieux son caractère que par le caillou qu’il trouve saugrenu. Quand le marcheur se heurte à une pierre, serait-ce à elle de se signaler ? On peut imaginer dans le futur que notre planète sera composée exclusivement de cailloux, sans compter aucun homme. Dans un univers passablement absurde, les cailloux à New York seront indigestes, à Londres ils seront verts, et à Paris ils seront carrés. Bientôt, le collectionneur de cailloux sera récompensé... par un impôt approprié. Nous appréhenderions mieux les cailloux si nous ne voulions pas les connaître avec exactitude. Le microscope trouble autant notre vue que notre entendement. Le bout du chemin est atteint lorsqu’il n’y a plus de cailloux à ajouter ou à retirer. Si un caillou ne mène pas à la pierre philosophale, il est sans espoir. Il y aura moins de cailloux quand les sentiers déboucheront sur des autoroutes. Le caillou n’est jamais plus esclave d’une muraille que quand il se croit libre sans l’être. Le masochisme du caillou consiste à se jeter sur lui-même pour se délivrer d’un complexe d’infériorité. L’humain serait très fâché si les cailloux venaient un jour à se dépouiller de leurs défauts. Tout devient inintelligible pour celui qui a la phobie d’être caillassé. La perplexité du caillou croît à mesure qu’il approche d’une bétonneuse. Les malheurs du caillou sont effacés par la pluie d’un seul jour. A quoi sert-il à la rivière de couler nonchalamment de vallée en vallée, si ce n’est pour jouer avec des cailloux qui lui fraient un passage, tout en se plaisant à l’égarer ? Depuis l’origine, les cailloux, dans la terre, jouent avec les os humains. Le caillou triangulaire est une chose que les cons font mieux que personne. Le caillou est un poing fermé qu’une main n’a jamais ouvert. Certains cailloux pressentent que le vent va tourner. D’autres sentent plus ou moins confusément que nous les regardons. Les plus communs s’abandonnent avec fatalisme en essuyant les averses : ils sont les premiers à être mouillés. Il est aussi absurde de vivre selon les pensées du caillou que de penser qu’un caillou puisse gâcher notre existence. Il est moins idiot de pousser un caillou que de le suivre. Le caillou estime à juste titre que se raser la tête est aussi stupide que s’arracher les cheveux. Le caillou ne voit vieillir que les autres. Le caillou est tellurique, ombrageux, extatique, imperméable, ascétique, atterré, gratifiant, invulnérable, dense, vert-de-grisé, ensorceleur, caméléon, rudimentaire, fabuleux, rêche, endiablé, cosmique... Qui empile indéfiniment un caillou sur un autre, sait combien cela est formidable. Le tombeau du caillou est en lui. Si l’on prend chaque caillou pour le caractère qu’il donne, on supporte plus volontiers le silex incommode que l’insignifiance du gravier. Il est un peu trop facile de jeter avec vigueur le caillou qu’on prend à la légère. Un caillou offert en cadeau n’est jeté que pour blesser le donateur. Les cailloux qui tombent du ciel sont plus ou moins endormis, comme un livre qui nous tombe des mains. La dissuasion du Néandertalien, c’était de faire croire au Cro-Magnon qu’il pouvait recevoir des cailloux en pleine gueule. L’idée selon laquelle un caillou doit être aussi rond que la terre est une légende imbécile. Doit-on jeter des pierres au milliardaire comme on en jette à l’arbre chargé de fruits ? Le caillou qui se jette à corps perdu dans le vide, entre dans un état second. Un jour viendra où les musées priseront les cailloux bien au-dessus de leur valeur. Il faut au caillou, pour tenir son rang, le caractère du menhir, l’énergie du volcan, l’esprit du diamant et la fermeté de l’écorce terrestre. On n’a jamais vu un chien prendre pour un os le caillou qu’on lui jette. Le caillou est aussi abruti que l’homme qui se demande ce qu’il est venu faire en ce monde. Il y a des cailloux qui, pour valoir leur prix, changent de chemin. C’est pourquoi on ramasse toujours à notre insu les cailloux qui sont venus de loin. Bien des cailloux n’auraient jamais été connus, si nos buildings ne faisaient pas état d’eux. Quiconque connaît le danger, marche à pas comptés, tant que les cailloux seront aussi offensants à celui qui les reçoit, que tranchants pour qui les piétine. Mes cailloux proviennent de la presque totalité de l’Europe. Cela m’a pris 40 ans. Ils recouvriront tous mon cercueil. Combien de cailloux nous jetterons-nous, alors que nous craignons d’en recevoir ? Le caillou a cela de sauvage qu’il est impossible à remettre sur son chemin, depuis qu’il s’en est détourné. Il faut revêtir la peau du plus simple des cailloux pour que nos pieds ne se blessent. Il y a le caillou dont on fait mystère et celui que l’on décrit aisément ; de sorte qu’il se donne ou se refuse selon qu’il distingue l’être qui lui correspond. Le bavard qui se jette dans la rivière en ressort avec un caillou dans la bouche. Du pied au caillou, l’attirance sera toujours mutuelle. Doit-on marquer d’un caillou blanc le jour où dans un plat de lentilles, un caillou fait figure d’épice ? La proximité entre le caillou et l’astre conserve mal sa distance sans les faire frissonner. Comparer un caillou à une œuvre d’art est pour le connaisseur chose commode qui le dispense de savoir juger. Les cailloux ramassés en grand nombre ne sont pas garantis contre les idées fixes. Le torrent s’exerce sur le caillou comme le couteau s’affûte sur la pierre. Se peut-il qu’on trébuche une deuxième fois sur la même pierre ? Quand les dolmens auront des dents, les diamants seront moins avides que les cailloux. Il n’est plus très loin le jour où le retraité craindra du percepteur qu’il le taxe sur les cailloux de son jardin. Qui jette des cailloux chez son voisin les verra pousser chez lui sous la forme d’orties. Pourquoi tolère-t-on à peine les cailloux puisqu’on crée des objets autrement plus difformes ? Contrairement au caillou jeté sur une vitre, l’argent jeté par la fenêtre est souvent doté d’un parachute. Tant qu’il n’est question que de recouvrir la planète, tous les cailloux s’allient aisément. Chaque caillou a son étoile dans le ciel. C’est dire comme cette tribu primitive renferme d’innombrables torchères qui incessamment se multiplient. Si le ciel devait nous tomber sur la tête, des milliards de cailloux en feu nous saccageraient en laissant des traces ineffaçables dans l’histoire d’une humanité à jamais ténébreuse. Il est bon d’avoir sur soi quelque caillou pour le donner ; rien d’autre ne saurait suffire. A force de manquer de cailloux, on manque de repères, d’où les bornes et les balises, à défaut de savoir lire dans le ciel les jalons étoilés, qu’on ne cherche plus à atteindre. Voir un nuage dans un caillou, c’est déjà le sculpter pour l’en libérer. Les cailloux roulent de chemin en chemin et sont poussés d’un coin du monde à un autre avec une effrayante rapidité. On jouit doublement du caillou ramassé par autrui que de celui qu’on a en poche, c’est-à-dire, non sans craindre de le perdre et avec le plaisir de la nouveauté. Sa privation nous le rend meilleur. Le sort du caillou se plaît à la surprise, il ne laisse pas passer l’occasion d’en prendre un au dépourvu, comme un croc-en-jambe qui le fait chuter. Il est difficile de suivre l’itinéraire des cailloux en scrutant les étoiles, sans tomber dans un trou noir. C’est parce que les illuminés et les lunatiques ont un caillou dans la tête que leurs yeux brillent comme une nuit d’étoiles. Le caillou a l’impression de retomber sans cesse dans une sorte de chaos originel. Il se sent désorienté et vulnérable à l’extrême, tel un navire sans gouvernail livré aux fureurs des éléments. Les cailloux rêvent que la terre tremblera sous eux, les réduira en atomes, et que le volcan intérieur qu’ils ont su domestiquer entrera en éruption dans chacun d’eux. Les cailloux enfoncés dans le sol, soucieux avant tout de pureté, s’interdisent momentanément la jouissance que les étoiles leur procurent. En bout de course, ils se feront étoiles filantes. Un caillou perdu n’a pas de veine, comme il est indiqué sur l’avis de recherche... De coups de pieds en coups de pieds, un caillou traverse Paris en moins d’une journée. Ne doit-on pas compter, un à un, tous les cailloux de la voûte céleste, avant de renaître ? Aucun caillou n’est invendable pour un commercial bien motivé. Les cailloux nous plaisent en raison de leur variété qui réveille notre goût. On estime davantage un caillou ordinaire qui est nouveau, qu’un caillou rare que l’on voit souvent. Les plus bossus des cailloux ont leur place à côté des chefs-d’œuvre des grands maîtres. Les cailloux des chemins n’auraient jamais coulés dans l’eau s’ils avaient eu en horreur de se mouiller les pieds. Servons-nous des cailloux pour s’en instruire : le caillou ne devient caillou que parmi d’autres cailloux. Ils sont interchangeables. Les rochers, toujours seuls, font peur à ne pas savoir jouer aux osselets. Ils cherchent à paraître banals et n’y parviennent pas. Se tromper de chemin est le fait de tous les cailloux. Quand on contrôle les routes, on contrôle les cailloux. Sur un sentier, rien n’étonne plus le caillou que le bon sens. Tout polissage tend à traiter les cailloux comme des choses. Qui apprend au caillou à mourir n’a rien compris. Il a pris ses formes aux flots et à l’espace. Laissons la pierre précieuse aux marcheurs sans imagination ! Paix sur la terre aux cailloux de bonne consistance ! S’il ne passe pas pour subtil, le caillou passe du moins pour solide. N’empêche qu’on s’avouera impuissant à le créer. En laissant tomber un caillou dans l’eau, l’ondulation fait inonder le nid de fourmis de l’autre côté du lac. Lorsque l’on compresse un caillou, on en extrait un jus qui n’est autre que l’eau de mer datant de l’époque ou le Jura ressemblait aux Bahamas. Quand un caillou rencontre un vanupieds, ils font ensemble le tour du monde. La ruse du caillou est de ne pas montrer toute sa beauté en une seule fois, comme si on le peignait pour le découvrir toujours davantage. Chacune de ses faces nous fait désirer impatiemment de voir toutes les autres. Plus nos pieds se heurtent aux pierres, plus notre vocabulaire s’appauvrit. Nous pourrions donner à trois cailloux les noms des Pieds Nickelés : Croquignol, Filochard et Ribouldingue. Il est inconcevable de jeter un caillou à terre sans lui prévoir un bel enterrement. Le caillou qui ne fut jamais lancé est souvent un mini volcan qui ne dort qu’à demi. Le caillou trouvé dans la vase attire notre regard pour se consoler à nos dépens, quand nous serons embourbé avec lui. Croyant que c’est un caillou, un crottin peut être mis en poche. Les cailloux qui ont le moins de bosses sont ceux qui veulent en paraître accablés ; ils font mystère de tout. Qu’on choisisse une étoile ou un caillou, ils nous feront avancer bien loin, comme des phares, sans gêne ni regrets. L’homme est un cantonnier qui accroche sa brouette pleine de cailloux aux étoiles, pour sortir du piège du temps. Les cailloux sont les garrots d’un chemin de terre : sans eux, il s’enfoncerait doucement dans le néant. Quand un chemin se révèle impossible, le caillou en parcourt tous les trous. L’humanité est une guirlande de poussière issue de cailloux étoilés dont le rêve au firmament est oublié. Là où on va, les cailloux sont nos compagnons de route, même s’ils nous mènent nulle part. Chacun a le loisir de polir un caillou, de le tailler sans répit, jusqu’à mettre sur sa face une expression de lassitude et de sérénité. L’inspiration chez le caillou brille dans l’ombre d’un diamant. Tout est hautement significatif chez le caillou et fait conclure à quelque chose de plus important qui doit sans doute venir à sa suite.