Robob’art : la machine qui devine votre façon de penser
Des visiteurs entrent dans un centre d’art contemporain. Ils jettent un œil aux tableaux accrochés aux murs et se retrouvent face à une œuvre, du type appareil électronique, qui s’intitule : «Robob’Art, testez la machine qui devine votre façon de penser». En effet, à son sommet, un radar capte les pensées et discussions des visiteurs. Un panneau les invite à mettre des écouteurs, ce qu’ils font après s’être exprimés.
- J’prends du recul, j’cligne des yeux…
- Robob’art… bonjour les migraines !
- On n’a pas les mêmes goûts, c’est sûr !
- N’importe quoi ! C’est une œuvre ça ? Entre nous, il se fout de notre gueule !
- Au train où vont les choses, la peinture va totalement disparaître !
- Qu’est-ce qui a bien pu se passer dans sa tête pour qu’il obtienne ce résultat ? C’est pas exposable ce bric-à-brac !
- Oh toi, il faut toujours que tu rabaisses tout !
- Franchement, il n’y ait pas allé de main morte. On dirait que pour lui toute préoccupation esthétique est à éviter comme la peste !
- Bon sang ! j’aimerais bien savoir quelle est la crapule qui…
- On a du le croiser dans un dépôt-vente ou pendant qu’il lorgnait sur le contenu de nos poubelles !
- J’aurais pas aimé avoir pour fils un bonhomme dans son genre. Faut être cinglé pour élever cette quincaillerie électrique au rang des beaux-arts !
- Encore un qui fait de la pub pour EDF !
- Et moi qui croyait que la peur du ridicule était un travers bien français !
- T’as vu où sont les toilettes ?
- Je n’en ai pas la moindre idée. Tu crois que le gardien est l’auteur d’une œuvre ?
- J’sais pas, mais il semble que ce qu’on appelait autrefois chef-d’œuvre est devenu une idée fantôme !
- Vite fait, mal fait ! Y a plus de métier. La facilité a toujours quelque chose d’agaçant. J’m’en souviendrais, oh ! comme je m’en souviendrais !
- Il pourrait en faire don à Emmaüs !
- Tu parles d’un cadeau. Rien de plus inutile. Voilà qu’une œuvre ne supporte même pas la comparaison avec n’importe quel objet !
- Qu’est-ce qu’ils penseront de nous dans les siècles futurs ?
- J’ai pas la parole, mais j’en pense pas moins ! J’en arrive à me convaincre que je vois tout cela en rêve !
- Tu crois qu’il vaut mieux pour lui être montré du doigt, ou de n’être pas remarqué ?
- J’ai hâte d’en avoir fini ! C’est bien la dernière fois qu’on se paiera ma tête de cette façon !
- Dis, j’ai mal aux pieds ! On rentre ?
- Arrête de t’plaindre. On n’a pas eu à faire la queue, comme l’an dernier, au Grand Palais !
- J’y peux rien, je me sens mal à l’aise comme si, sans y être invité, j’entrais chez un inconnu !
- Sûrement que l’essentiel pour lui est de participer ! Il doit éprouver un extrême plaisir à se faire prendre pour un imbécile !
- Parle moins fort, les gens nous regardent !
- La machine qui devine votre façon de penser. Quelle prétention ! Jusqu’où peut-on encore parler d’art ?
- Tu me rassures, je me posais la même question !
- C’est du canular, de la fumisterie ! Je parie qu’il passe ses soirées à étudier les indicateurs des chemins de fer ?
- De lui on ne peut que désespérer. Et si on essayait de mettre les écouteurs…
- T’es folle, c’est sûrement radioactif avec tous ces fils électriques !
- Désormais, il est condamné soit à se ridiculiser soit à s’abstenir ! Si j’me retenais pas, je le détruirais ce Robob’art !
- Laisse tomber, c’est quelque chose de trop bête pour mériter qu’on s’y attarde !
- Regroupez-vous devant, j’vais faire une photo !
- Ça sera sans moi, je préfère raser les murs !
- Est-ce qu’on pense comme des robots ?
- Arrêtez de bouger !
- Pour moi c’est un caricaturiste qui s’ignore !
- A propos, tu crois que l’artiste ignore ce qui est interdit ?
- Oui, si c’est un contestataire, il doit vouloir devenir inhumain !
Si on le laisserait faire, il bombarderait une ville rien que pour en admirer les ruines !
- Y a plus de morale. Ce doit être un gars de laboratoire, un daltonien sorti tout droit de son ghetto !
- Ça doit être fait exprès de montrer des trucs pareils ! C’est de la provocation ! Maintenant une œuvre est liée à la notion de rupture, de prise de risque, tout juste si elle ne cherche pas à être détestée !
- Tu as l’air d’être un habitué, tu viens souvent ?
- Non, mais on dirait que pour lui une œuvre qui ne choque pas n’en vaut pas la peine !
- Je n’ai pas vu de prix. De toute façon, à quoi ça lui sert de s’appliquer à faire un truc totalement invendable ?
- Et en plus il ne doit pas avoir une thune en poche. Il va crever la gueule ouverte !
- Une chose est sûre, après sa mort, son robot n’atteindra pas des prix astronomiques !
- Ça devrait se vendre au poids!
- Arrête de plaisanter, c’est plutôt navrant. Quel dommage qu’il ne peint pas autre chose. Ça se trouve il en serait capable !
- Tu parles, je le soupçonne de chercher à compenser quelque vice secret ! De travailler à la lumière électrique, ça l’a fait disjoncter !
- Ce robot-machin-chose est à peine récupérable, ça finira jamais au musée !
- J’espère pas ! Imagine, une fois dans la place, ce gars là ne résisterait pas à taguer tout l’intérieur du Louvre !
- Tu crois que c’est subventionné par les fonctionnaires du ministère de la Culture ?
- Si c’était le cas, il y aurait leur autocollant !
- Peut-être qu’il se prend pas au sérieux ?
- Et ça excuse quoi ? La vocation a dû lui venir sur le tard ! Allez, viens, on va dire au revoir aux autres !
- Ou alors c’est à la mode. Mais j’préfère la mode des tee-shirts avec un Renoir dans l’dos !
- Il doit prendre toutes ses précautions pour être incompris ! Plaisir d’individualiste. Il faut vraiment pas être regardant. Dans quoi nous sommes-nous fourrés !
- N’en faites pas toute une montagne ! Et si on essayait de mettre les écouteurs ?
- Verra-t-on un jour un artiste s’immoler lors d’un vernissage, rien que pour faire son intéressant ?
- Où vas-tu chercher tout ça ?
- Van Gogh s’est bien coupé une oreille. Ne lui rendra-t-il pas un hommage un jour ?
- Ça ne ressemble à rien. Qui pourrait vouloir de cette espèce de robot dans son salon ? C’est bon pour les garagistes, les fétichistes et que sais-je encore ?
- Il doit penser que les appareils électroniques imitent le fonctionnement du cerveau !
- Soit il a des loisirs, soit il est à la retraite. Mais un chômeur ne pourrait pas s’en sortir en fabriquant ce genre d’horreurs !
- Ouais, il ne doit pas voir la vie en rose !
- C’est pas vendable. C’est tout voué à l’oubli. Je suis persuadée que si j’en parlais à mon mari, il penserait que j’ai tout inventé !
- Qu’est-ce qui t’as pris de m’entraîner jusqu’ici ?
- Pour tout dire je n’sais pas pourquoi on est là !
- On dirait que les artistes n’arrêtent pas de pleurer ! Utiliseront-ils leurs mouchoirs en guise de toile ?
- C’est humain !
- Oui, c’est con !
- Voilà à quoi ça mène de rendre libre les artistes. Hitler n’aurait pas mieux fait s’il était resté peintre !
- Un délinquant n’en voudrait même pas comme compagnon de prison !
- Heureusement qu’il y a des explications. J’ai souvent l’impression qu’il faut acheter le catalogue. Pas vous ?
- C’est quoi son slogan ?
- Laisse tomber tu pourrais pas comprendre ! C’est de la propagande !
- Ecoutez plutôt : les artistes sont aussi incompétents dans leur domaine que les politiciens dans le leur !
- Faudra que je mette ce que tu viens de dire dans mon journal intime !
- Quitte à écrire, tu ferais mieux de joindre cet artiste pour lui conseiller d’écrire une lettre à l’organisateur de l’expo, une lettre de repentir par laquelle il renonce à l’avenir à exposer. Le but de l’opération serait qu’il échappe aux persécutions des critiques d’art. Tu vois où je veux en venir, les artistes sont sensibles à la critique !
- Ne l’écoute pas. Quoi que tu fasses, tu ne pourras pas mettre l’artiste dans l’impossibilité d’exposer. Diable ! On est en démocratie !
- Si l’on était en démocratie, comme tu dis, on aurait demandé aux autres artistes de voter. Et tu crois qu’il aurait obtenu la majorité des suffrages ?
- Je veux bien que les peintres ne fabriquent plus leurs couleurs eux-mêmes, mais là, j’peux en faire autant. Ça peut pas être pire. Même le môme il fait mieux !
- Il a raison Raymond, convaincs le maire de prendre des mesures !
- Moi, j’aurais pas fait un robot qui sert à penser ! Imagine qu’il ait fallu payer l’entrée !
- Eh bien, si nous n’étions pas là, avec le temps qu’il fait dehors, nous serions trempés jusqu’aux os !
- C’est un passe-temps d’incapable. Il doit vivre de discussions et d’apéros !
- Ça ne doit pas être non plus le défilé dans son atelier !
- On se croirait aux Puces, du pas grand-chose qu’on a pour trois fois rien ! De vous à moi, il n’a pas dû faire de croquis avant d’entre-prendre sa machine !
- Ça se trouve, il s’est donné beaucoup de mal !
- Pour dire quoi ? Qu’on pense tous la même chose ? De manière robotisée ?
- Il nous critique, mais ça m’étonnerait qu’il aime qu’on plaisante au sujet de son truc !
- On ne peut pas vous empêcher de bavarder ! Et si on essayait de mettre les écouteurs ?
- Faudrait lui dire que la Joconde existe !
- N’empêche que Léonard de Vinci, il disséquait les cadavres !
- Toi et ta Joconde ! Son visage est peut être joli mais il rend hideux ceux de ses admirateurs !
- C’est agréable à entendre, merci !
- Moi, j’préfère l’impressionnisme, les bouquets, les guinguettes, les baigneuses, ça c’est de l’art bien d’chez nous !
- Tu vois l’homme à ta droite, ça fait bien cinq minutes qu’il reluque ce machin-là !
- T’occupe pas, il doit attendre quelqu’un !
- C’est un bigot de l’art ! Lui brûle l’envie de nous dire : «On ne vous demande pas votre avis… Vous ne faites pas partie de la corporation…»
- Franchement, il y a de quoi se flinguer. Ce qui me fait peur, c’est qu’à la longue, les gens s’habituent à ça, on s’habitue bien à tout !
Il est où le beau dans tout ça ?
- Je ne m’offrirais même pas sa reproduction en carte postale, c’est vous dire !
- Il n’est pas nécessaire d’être je-ne-sais-pas-qui pour savoir que le laid, c’est ce qu’on hait !
- C’est pratique, il n’a pas besoin d’être inspiré !
- Il doit être affligé d’une femme acariâtre. Il nous mêle à ses problèmes, faute de pouvoir se confier à quelqu’un !
- Tu penses que c’est fabriqué en usine ?
- Comme si on n’était pas assez envahi par les machines ? Ce qui est malsain devient original !
- En tout cas, j’ai l’impression d’être poussé vers la sortie ! Elle est où la sortie de secours ?
- Dans le catalogue il y a une préface signée par le député. Si j’avais su j’aurais jamais voté pour ce con !
- C’est de l’inachevé, c’est bâclé, c’est vraiment mal fichu. C’est à croire qu’il s’est mis un bandeau sur les yeux !
- Il suffit de renverser par terre n’importe quoi et de l’exposer. T’aurais pu venir avec les sacs poubelles !
- Avec les cent cinquante millions de tonnes de déchets par an, à l’actif des seuls ménages français, il n’est pas prêt d’oublier cette vilaine manie. Pas étonnant qu’il n’y ait pas grand monde !
- C’est marrant, il ne vient à l’idée de personne de gueuler. Regarde, les gens marmonnent dans leur coin. On se croirait à la messe !
- En plus, ça sent le renfermé ! Avant ce centre d’art, il y avait quoi ?
- J’sais pas, un casino ?, une halle aux fruits et légumes ?, une salle de music-hall ? Remarque, il y a assez de murs contre lesquels les artistes pourraient se fracasser la tête !
- Si c’est ça l’art contemporain, c’est quoi l’art moderne ? Aujourd’hui, tout est toujours remis en question !
- C’est peut-être fait exprès d’être raté ?
- Quant à moi, j’préfère la boutique de poterie de tout à l’heure ! Le n’importe quoi en art, ça dépayse à trop bon compte !
- Voilà le truc idéal pour ton bricoleur de beau-frère ! Lui qui est pour le tout-électrique, là, il est servi avec tous ces clignotants. Lui aussi, dans son pavillon de banlieue, il pourrait se faire le début d’une notoriété !
- Toujours en train de cogiter, hein ? S’il ne pleuvait pas tant dehors, il y a longtemps que j’aurais décampé !
- Ce qu’on a vu à la salle des fêtes, au moins ça c’était de la peinture. Et il y avait du macramé. Qu’est-ce qu’il dit le gardien ?
- C’est la fermeture dans un quart d’heure !
- Ce genre d’élucubrations ne devrait pas sortir de chez l’artiste ! Enfin, ça ne m’empêchera pas de dormir ! Faut vraiment être attardé !
- Il nous ferait prendre les hypermarchés pour les cathédrales des temps modernes !
- Il doit vivre d’expédients plus ou moins avouables… et se nourrir de champagne et de petits fours…!
- Je ne comprends pas pourquoi ils interdisent les chiens à l’entrée !
- Il est sans doute artiste parce qu’il ne peut pas faire autre chose ! Pourquoi aussi cette idée stupide de venir ici ?
- Tout est de ma faute, nous ne serions pas venus s’ils n’en n’avaient parlé à la télé. Je suis la seule à blâmer, ça dû parvenir jusqu’aux oreilles d’un journaliste peu scrupuleux !
- Il te donnerait l’idée de mettre des chaussettes de couleurs différentes !
- Au moins il se défoule. Et pendant qu’il fait ça, il ne s’occupe pas de politique !
- Ce doux dingue doit être la plus déplorable des fréquentations ! Et si on essayait de mettre les écouteurs ?
- Du moment que tu te tiens tranquille !
- Dites, y a même pas d’alarme !
- J’te l’demande, qui viendrait voler ? Ça ne peut pas exciter la convoi-tise des collectionneurs !
- Tu crois que les bourgeois ils achètent ça ?
- Foutaise, il est mûr pour l’asile. La camisole, le bâillon !
- S’il fallait ne plus voir ce qui plaît aux bourgeois, on n’aurait plus rien à critiquer. En attendant, on rigole, non ?
- On dirait qu’il manquait de place pour rajouter autre chose !
- J’préfère les bouquets de ta tante. Au moins là on sait à quoi s’en tenir. Il faut bien mettre quelque chose sur les murs !
- Et ses fleurs sentent vraiment la térébenthine !
- Ah, c’est malin !
- C’est ne rendre service à personne que d’exposer un truc pareil !
- J’aime pas Picasso, mais c’est encore lui que je choisirais pour faire mon portrait. Sans doute une question de générations !
- Regarde, on a le même gyrophare dans le garage. Tu parles d’une trouvaille. Il ne lui reste plus qu’à signer !
- C’est facile de se sentir artiste, à si peu de frais. Il est loin le temps où les artistes couraient les carrières de marbre, de Vérone ou Carrare, en quête de matières raffinées !
- Dans un si bel endroit, c’est vraiment de l’argent jeté par les fenêtres. On se croirait dans une fête foraine. Mais ici on n’en finit pas d’attendre et rien ne se passe !
- Eh, venez, on nous entend dans les écouteurs, il faut mettre les écouteurs !
- On arrive ! On arrive ! Je suis sûr que même les japonais, ils ne reproduiraient pas ce robot à l’identique !
- Oh tu sais, rien n’est moins sûr avec eux ! L’artiste doit avoir un mal fou à trouver une galerie !
- Vous imaginez ce que cela doit représenter d’être artiste, en ce moment, en France ?
- Y a même un cendrier plein de mégots ! Tu crois que ça fait partie de l’exposition ?
- Celui qui médite là-dessus, ou bien il lui en faut peu, ou bien il en rajoute ! Et là c’est de la provocation !
- Faut dire qu’à notre époque tout se vend, tout doit disparaître !
- Il a dû prendre ce qu’il avait sous la main ! Comme un enfant, il montre son œuvre, son bobo, sa crotte !
- Ce doit être le travail d’un aliéné ou d’un autodidacte. C’est un fada, il fait l’artiste !
- Voilà qui expliquerait bien des choses. C’est du reste l’impression que me font tous les marginaux que je rencontre !
- On me donnerait quelque chose à la sortie que j’en voudrais pas ! Mettez-vous à la place de ses héritiers ! Tout compte fait, il vaut mieux être la flèche que la cible !
- Et si, nous aussi, on essayait de mettre les écouteurs ?
- T’en parle à personne, hein, on n’est jamais venu, entends-tu ?